Ite missa est?
En couverture de Courrier International / Laïcité : L’offensive des Églises en Europe
En 2006 à Ratisbonne, le pape appelait au retour du religieux sur la scène politique. Un message reçu cinq sur cinq par les hiérarchies catholiques.
Le 20 décembre 2007, Nicolas Sarkozy a prononcé un discours à la basilique Saint-Jean-de-Latran, à Rome. “Un homme qui croit, a dit le président français, est un homme qui espère. L’intérêt de la République, c’est qu’il y ait beaucoup d’hommes et de femmes qui espèrent.”
En 2006 à Ratisbonne, le pape appelait au retour du religieux sur la scène politique. Un message reçu cinq sur cinq par les hiérarchies catholiques.
Le 20 décembre 2007, Nicolas Sarkozy a prononcé un discours à la basilique Saint-Jean-de-Latran, à Rome. “Un homme qui croit, a dit le président français, est un homme qui espère. L’intérêt de la République, c’est qu’il y ait beaucoup d’hommes et de femmes qui espèrent.”
Sarkozy semblait donner raison à ceux qui pensent que la religion se justifie par son utilité, par sa capacité à préparer les citoyens à endurer avec résignation les épreuves auxquelles les soumet un monde paradoxal. Mais le président est allé plus loin : “[…] la morale laïque risque toujours de s’épuiser quand elle n’est pas adossée à une espérance qui comble l’aspiration de l’homme à l’infini.” Et il a conclu son attaque de la culture laïque par ces mots : “Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance.” Sarkozy visait ainsi directement l’institution fondamentale de la laïcité républicaine : l’école.
Quelques jours plus tard, le 14 janvier, dans un contexte très différent, à Riyad, devant le Conseil consultatif d’Arabie Saoudite, Sarkozy s’est de nouveau prononcé pour la restauration religieuse. Voilà un vieux programme remis au goût du jour par les droites européennes : le gouvernement gouverne à sa guise et les Eglises étanchent la soif d’espérance des citoyens. Le 13 septembre 2006, le pape Benoît XVI a prononcé un important discours à l’université de Ratisbonne. Ratzinger invitait les religions du Livre – dont l’islam – à occuper l’espace laissé vacant par les idéologies modernes et à profiter de ces temps d’incertitude et de changement pour revenir sur le devant de la scène politique. Il donnait en exemple l’Eglise catholique, capable de concilier la foi et la raison. Ce signal a été interprété comme un ordre par la hiérarchie catholique de certains pays, celle de l’Espagne notamment qui s’est vue légitimée dans la croisade qu’elle mène contre le gouvernement en collaboration avec l’opposition de droite.
Peut-on parler d’un retour du religieux dans les sociétés laïques du monde développé ? S’agit-il d’un phénomène passager ou d’un changement de fond, comme si la croisade du président Bush trouvait un écho en Europe ?
Nous avons probablement affaire à un épiphénomène du processus de mondialisation. Le monde étant beaucoup plus petit du fait que les idées, les marchandises, l’argent et, dans une certaine mesure, les personnes circulent plus facilement, la concurrence sur le marché des âmes se fait particulièrement âpre. Par le passé, les principales religions jouissaient d’une situation de monopole sur leurs territoires respectifs. Désormais, il sera de plus en plus difficile de défendre ses droits d’exclusivité sur tel ou tel pays, tel ou tel espace supranational. L’Eglise catholique est défiée sur son propre territoire par des Eglises protestantes de plus en plus riches et expansionnistes, ainsi que par différentes familles de l’islam, revenu sur les terres dont il avait été expulsé. Elle est aussi bousculée par les sectes, les religions à la carte, les Eglises fast-food, les produits de spiritualité orientale, et même par la littérature de développement personnel destinée à des citoyens en mal de repères. Le marché est devenu très concurrentiel et il faut défendre sa paroisse sans trop de scrupules.
Le recul des idéologies classiques, le triomphe du pouvoir économique comme source de normativité sociale et de référence du comportement, le sentiment d’insécurité et de risque qu’éprouvent de nombreux citoyens qui voient le sol se dérober sous leurs pas et les repères acquis s’estomper : tout cela constitue un terreau favorable au retour de la religiosité dans des sociétés qui paraissaient vouées pour toujours à la laïcité. La laïcité semblait être une valeur acquise dans les sociétés avancées Enfin, la transformation de la lutte antiterroriste en choc des civilisations a redonné aux religions toute leur prééminence. Le concept de civilisation confère à la religion le caractère d’élément identitaire déterminant. “Je ne connais pas de pays, a dit Sarkozy à Riyad, […] dont la civilisation [n’ait] pas de racines religieuses.” Le plus étonnant est que cette réapparition du religieux a lieu au moment où, comme l’écrit [le philosophe et historien] Marcel Gauchet, “pour la première fois, notre compréhension temporelle de nous-mêmes – je parle de la compréhension spontanée, quotidienne, pratique – est réellement et complètement soustraite à l’immémoriale structuration religieuse du temps”. Au moment où la laïcité semblait être – et c’est en partie le cas – une valeur acquise dans les sociétés avancées.
Qu’est-ce qu’un pays laïc ? Un Etat où les Eglises ne peuvent pas déterminer l’action du pouvoir politique, et où celui-ci ne peut pas s’ingérer dans les affaires des Eglises, sauf dans le cas où elles désobéissent à la loi. Et, bien entendu, l’Etat n’a pas à se mêler des questions théologiques ou des principes doctrinaux. Les religions se situent en dehors de toute possibilité critique. Elles entendent avoir l’exclusivité de la vérité et l’imposer à tous les hommes. “Que puis-je faire pour que les autres soient sauvés et que surgisse aussi pour les autres l’étoile de l’espérance ?” : voilà une question impérative que pose le pape Benoît XVI dans l’encyclique Spe salvi. Pour les religions, la légitimité du pouvoir émane de Dieu et non des hommes. Ces trois caractéristiques les rendent incompatibles avec les fondements du système démocratique. Aussi faut-il les maintenir en marge des décisions politiques. L’alibi religieux n’est pas un argument pour échapper aux lois démocratiques. Et, cependant, la liberté d’expression et de croyance est un principe fondamental de l’Etat démocratique. C’est pourquoi il ne doit pas intervenir dans les idées religieuses.
C’est cette nette répartition des rôles qu’une nouvelle sainte alliance de la droite et de l’autel voudrait remettre en cause en Europe.
Josep Ramoneda El País
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