Parler et faire parler de Sarko
Paru dans le Nouvel Observateur aujourd'hui, l'entretien d'une jeune chercheuse en sociologie , Alexandra Oeser, à propos de la mesure de Sarkozy sur la mémoire de la Shoa : tout ce qui se fait ailleurs n'est pas bon à prendre "parce que ça se fait" ....
Encore une fois notre président parvient à faire parler de lui et à détourner le regard des médias en leur imposant un débat qui n'est pas le bon.
Encore une fois notre président parvient à faire parler de lui et à détourner le regard des médias en leur imposant un débat qui n'est pas le bon.
Enseigner la Shoah : l'exemple allemand «Mets-toi à sa place !»
Outre-Rhin, les enseignants abordent le passé nazi au collège et poussent leurs élèves à s'identifier aux victimes. La sociologue Alexandra Oeser analyse cette pédagogie de l'émotion
Le Nouvel Observateur :
- En Allemagne, l'histoire de la Shoah est-elle étudiée à l'école primaire ?
Alexandra Oeser:
- Non. Mais les enseignants ont beaucoup de liberté pour interpréter les programmes. Il leur arrive d'évoquer cette question de leur propre chef, à travers, par exemple, la lecture d'un roman. En revanche, au collège, les élèves de 14-15 ans sont tenus d'étudier le passé nazi pendant toute une année.
N. O:
- Comment enseigne-t-on la Shoah ?
A. Oeser:
- On s'appuie beaucoup sur l'émotion et l'empathie. Depuis les années 1970-1980, les enseignants ont remis en question l'apprentissage purement cognitif de l'histoire, qui passait par le cours magistral. Ils recourent à une pédagogie appelée Betroffenheitspädagogik, «bouleversement affectif», qui encourage les élèves à s'identifier aux victimes. On s'appuie sur toutes sortes de documents, notamment des films. Par exemple, pour expliquer la montée de l'antisémitisme, le feuilleton de la ZDF «Die Geschwister Oppermann» («les Enfants Oppermann») raconte comment, à la fin des années 1930, un enfant juif, exclu par ses camarades, est poussé au suicide. Et on invite l'élève à raconter comment il aurait réagi à la place de cet enfant. Ou le professeur emmène ses collégiens dans un camp de concentration et leur demande de se tenir à l'endroit où les déportés étaient fusillés. Ce sont à chaque fois des procédés émotionnels très forts.
N. O.:
- Quel est le but recherché ?
A. Oeser.:
- Il s'agit moins d'une éducation historique que civique. Le but explicite des professeurs, c'est de faire de leurs élèves de bons citoyens qui adhèrent à la démocratie pluraliste. Ils veulent leur transmettre des valeurs morales de tolérance, d'antiracisme, de rejet de l'antisémitisme. Il faut remettre cette ambition pédagogique dans son contexte : ces enseignants sont des démocrates convaincus, qui redoutent un retour de la dictature. Ils ont grandi dans une Allemagne encore mal stabilisée sur le plan politique et ont été très marqués par les résurgences néonazies dans les années 1970 en RFA.
N. O:
- Quel est l'effet de cet enseignement sur les élèves ?
A. Oeser:
- Les effets sont multiples et complexes. Les élèves se réapproprient l'histoire du génocide de façon diverse. Les filles ont tendance à s'identifier plutôt aux victimes, les garçons s'intéressent davantage aux armes, à la guerre, au commandement militaire...
N. O:
- Cette pédagogie de l'émotion peut-elle alors produire le contraire de l'effet escompté ? Conduire certains élèves à s'identifier non aux victimes, mais à leurs bourreaux ?
A. Oeser:
- Ce n'est pas ça. De rares élèves, plutôt en échec scolaire, ont recours à des usages illégitimes du passé nazi. Ils blaguent sur le génocide, ils dessinent des croix gammées au tableau, font le salut hitlérien... Pour autant, il ne s'agit pas d'une adhésion à des valeurs nazies ou d'une identification aux bourreaux. Et je ne pense pas que ces réactions soient liées à la «pédagogie du bouleversement affectif». Un autre type d'enseignement pourrait produire les mêmes effets. Mais les enfants savent tous qu'il est tabou de plaisanter sur ces sujets, donc quelques-uns en jouent. Le passé nazi leur fournit un outil efficace pour tester les limites de la relation pédagogique. Par ailleurs, certains élèves très favorisés socialement et scolairement expriment un «ras-le-bol». Ils ont déjà été sensibilisés au génocide par leur famille, et ce qu'ils font en classe ne leur apporte pas les réponses aux questions qu'ils se posent.
N. O:
- Craint-on, en Allemagne, qu'un tel enseignement fondé sur l'émotion puisse traumatiser les enfants ?
A. Oeser:
- C'est une question qu'il faut poser à un psychologue. J'ai vu des adolescents pleurer pendant la projection de «la Liste de Schindler». A quel âge peut-on être confronté à des images violentes ? La question va bien au-delà du seul enseignement du génocide. Aujourd'hui, en Allemagne, il y a débat. Les pédagogues veulent réduire le poids de l'approche émotionnelle, pour des raisons éthiques notamment. Les historiens, quant à eux, défendent plutôt l'idée qu'on peut combiner les deux approches, émotionnelle et intellectuelle.
N. O:
- Comment analysez-vous la polémique suscitée par l'annonce de Nicolas Sarkozy ?
A. Oeser:
- Nicolas Sarkozy réussit à faire parler de lui dans le contexte de la campagne municipale en utilisant les enfants déportés. C'est parfaitement inacceptable. Et les journalistes se laissent manipuler par ce marketing politique en reprenant le débat dans les termes qui leur sont imposés.
Alexandra Oeser est sociologue, enseignante-chercheuse à l'IEP de Toulouse, elle est l'auteur d'une thèse sur «La transmission scolaire du passé nazi en Allemagne : étude comparative de quatre écoles à Hambourg et à Leipzig».
Christophe Boltanski, Caroline Brizard; Le Nouvel Observateur 28/02/2008
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Edit: Le Nouvel Observateur lance par ailleurs un appel ici avec une pétition en ligne...
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