mardi 23 mars 2010

C'est toujours les mêmes qui s'y collent

Succès de la manif bordelaise... Beaucoup de monde à battre le pavé sous le soleil, beaucoup de professions représentées, et beaucoup du privé. Je n'ai pas pris de photos, mais le cortège était long et ce soir on dit que les participants étaient autour de 35000, ce qui me semble assez juste.
Et toujours les mêmes têtes qui sont toujours là, à la moindre mobilisation.

J'arrive un peu à la bourre, après le départ du cortège, mais ça piétine lentement, alors j'en profite pour garer mon vélo et remonter à pied la foule.
Ce sont les Atac qui ferment la marche avec les CNT comme d'hab' et j'ai vite fait de repérer Harribey, avec son béret, et ça me fait plaisir de le voir, petit pincement au coeur de complicité et de bons souvenirs dans cette asso...
Les enseignants sont juste devant, bien parqués chacun derrière les drapeaux de leurs syndicats: les profs ça aime marcher en troupeau, quoiqu'ils en aient. J'avise une nénette fagotée à la mode alter-eco, version boutique de créateur à 300 euros la jupe en coton recyclé, certainement une collègue d'art-pla... et plus loin un groupe de barbus-chevelus-chenus qui ont dû verser une larme à la mort de Jean Ferrat il y a une semaine... Et je me demande si moi aussi, j'ai bien une silouhette de prof de lettres identifiable au premier coup d'oeil, avec mon jean et ma veste en cuir achetée au fripes...

Pas mal de jeunes profs, en tous les cas plus que de coutume, dans cette assemblée bigarrée, rigolarde, bavarde, qui s'étire dans le cours Clémenceau. Est-ce dû aux départs en retraite de ces dernières années, ou  les jeunes profs se sentent un peu plus concernés pour venir manifester?
En tous cas, je ne vois aucune figure connue de mes collègues des trois dernières années, alors que j'ai travaillé dans le centre-ville et en proche périphérie... Ils n'ont certainement pas les mêmes problèmes que les collèges de banlieue et de campagne, qui sont venus eux, avec des banderoles...

Tiens, mais qui voilà? Mon prof de SVT quand j'étais en sixième, Monsieur Valdès! Les cheveux frisés ont blanchi, il porte des petites lunettes maintenant... Je me souviens de ses cours qui me terrorisaient en 6ème, et ensuite m'ont passionnée en 3ème, de sa gouaille et de ses " Alors, bilan de la manip'!!! "... Toujours là, dans les cortèges, toujours motivé. Ils sont quelques uns dans son groupe avec des tee-shirts blancs qu'ils ont tagués au feutre de couleur "Lycée Jaufré Rudel dit non au bac poubelle" un truc du genre. D'un coup il se retourne, me voit et me reconnait en me faisant un geste de la main qui veut dire "Je t'ai eue en classe toute petite". On se salue, il m'explique l'idée de sa femme à fabriquer ces tee-shirts, et comment son lycée rural maintient la mobilisation contre la réforme du bac.
Je poursuis ma promenade, je repère ça et là, des anciens collègues de promo de mes parents, militants associatifs à la ligue de l'enseignement ou autres, des têtes que je connais et qui sont à chaque fois présentes.

Et puis je finis par tomber sur mon collègue Pierre, à la retraite depuis trois semaines, mais qui est quand même venu. C'est le seul collègue de mon ancien collège du centre ville que je verrai. Entre deux blagues, on se raconte aussi nos vies. Avec Pierre, j'allais boire une bière le lundi après-midi après mes cours et il me contait ses malheurs, en se lamentant sur le fait que je ne voulais pas me marier ou que je sifflais dans la rue...
Je passe un peu de temps avec Pierre, dans ce cortège de marcheurs, au rythme des chants de guerre aux paroles assez pourries, plaquées sur des chansons connues (dont une de Jean Ferrat). C'est toujours la même nana du UDSNEUA (Union Des Syndicats Nombreux d'Enseignants Unitaires Amis) qui braille dans le micro avec une voix ultra-fausse des slogans que personne n'écoute. Bref, c'est quand même un peu la louse, mais elle y croit avec son micro en pleine rue...

Et oui, on a l'air un peu nases à marcher dans les rues sous nos bannières, à protester de façon vindicative avec des raccourcis parfois au niveau des raisonnements, qui ne servent peut-être pas nos combats... Les autres fédés dans autres professions font pareil, les cheminots avec leurs trompettes, les mecs du BTP avec leurs klaxons du stade, les gens des hôpitaux avec leurs blouses bleues... Les gueulards de la rue, on est là, on fait un peu de bruit pendant quelques heures...
Je me dis que j'ai grandi avec ça, alors ça me parait normal de protester, de la ramener, de faire grève, d'aller dans une manif, de signer des appels, des pétitions, d'assister à des réunions etc. etc. Et je comprends d'un seul coup que pour d'autres personnes c'est totalement étrange et inconnu, voire peut-être ça les rebute ou ça les dérange.

Je m'interroge brièvement sur le sens de l'expression "prendre parti" et sur le mot "choix", au milieu de ces gens qui marchent ensemble parce qu'ils pensent qu'être là, en ce moment, ça a du sens et de la valeur.
Si je n'avais pas eu cette éducation, peut-être que moi aussi, j'aurais douté de ce que peut signifier l'acte de voter. Peut-être que moi aussi, j'aurais trouvé saoûlant les débats politiques, je ne serais pas parvenue à me construire une idée (qui vaut ce qu'elle vaut), et du coup de guerre lasse au milieu de cette cacophonie, j'aurais préféré vivre sans me préoccuper de tout ça.

Mais non, tout ne se règle pas "à l'amiable" dans ce monde brutal. La démocratie, c'est une belle idée, mais ce n'est pas vrai qu'elle s'applique dans les faits. Il existe des textes de lois pour nous rappeler nos droits et nos devoirs, mais ça ne va de soi qu'on les respecte. Cela me semble une immense erreur de penser que les choses peuvent évoluer dans le bons sens d'elles-mêmes parce qu'il y a des lois, parce qu'on est dans une démocratie, parce qu'on est quand même "en France".

Je repars plus tard sur mon vélo en repensant à Monique, qui vient d'être réelue au conseil régional et qui est une de mes anciennes collègue du centre-ville. Elle aussi toujours dans les cortèges. Elle vient de passer trois mois sans solde pour faire la campagne. Impliquée dans les instances du collège où j'ai bossé un an, impliquée aussi au niveau syndical. Une femme de conviction qui est allée au bout de son raisonnement. Le terrain elle le connait, comme la plupart de ceux et celles qui étaient sur sa liste et pour qui j'ai voté. Des gens qui ont milité, qui sont passés par des assos que j'ai fréquentées. Pas des politicards. Ils ont monté leur liste comme un aboutissement de leurs engagements successifs. Et ils sont aujourd'hui élus, certes sur une liste qu'ils ont dû partager, mais au final, ils y sont au conseil régional. Ils vont avoir droit au chapitre et ils représentent un cetains nombre de mes idées, pas toutes, mais c'est déjà bien.
J'ai appris beaucoup de ces gens qui sont toujours dans les manifs: à faire un choix, à croire qu'on peut changer les choses effectivement, mais que c'est un travail de longue haleine, à ne pas se résigner, ne pas se démotiver, et à penser que la politique c'est un moyen d'action, c'est une source d'espoir. Et surtout, la politique, ça s'invente, ce n'est pas figé dans un appareil, tout le monde peut en faire et devenir actif.

Je vais dans ces manifs, et je vois toujours ces mêmes gens qui s'y collent, sans défaitisme, sans aigreur, des gens qui font preuve d'imagination, de créativité dans leur vie. Quand on discute avec eux on apprend beaucoup sur le plan humain, on voit la vie autrement.
Merci à tous.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire